

APPEL A CONTRIBUTIONS : Cahiers n°5
Duras féministe ? Lire et relire Duras aujourd’hui
Dossier coordonné par Anne Cousseau
English version below
« Je ne suis pas “féministe”. Je ne crois pas au féminisme. Je crois que le seul féminisme valable, il n’est pas militant. C’est de laisser les femmes à elles-mêmes, libres », déclarait Marguerite Duras lors d’un entretien avec Susan D. Cohen en 1973. Pour autant, Marguerite Duras ne s’est pas tenue à l’écart de la lutte des femmes et de la pensée féministe qui animent le débat politique et social des années 1970. En témoignent les entretiens réalisés avec Xavière Gauthier en 1973, qui donneront lieu à la publication des Parleuses en 1974, mais aussi ceux accordés à Suzanne Horer en 1973 ou à Susan Husserl Kapit en 1975, ainsi que les textes[1] qu’elle propose à Xavière Gauthier pour sa revue Sorcières, dont le titre est inspiré par la lecture de Michelet. On peut rappeler également qu’elle avait apposé son nom en 1971 au bas du « manifeste des 343 » qui réclamait la dépénalisation de l’avortement.
Au-delà de ce seul contexte historique et idéologique propre aux années 1970, qui donna lieu à la réalisation de son film Nathalie Granger, tourné en 1972 et publié en 1973, dont le titre initial était « Nathalie Granger ou la maison des femmes », Marguerite Duras s’est attachée dans nombre de ses œuvres à explorer « les territoires du féminin », selon le titre de l’essai de Marcelle Marini, et à écrire depuis ce lieu, « avec une grammaire au féminin » qui trouble le rapport des genres (Calle-Gruber, Dictionnaire Marguerite Duras, 2020).
Le féminisme de Marguerite Duras ne va pas de soi, comme l’ont montré un certain nombre de travaux critiques (Blot-Labarrère, 1992 ; Alhstedt, 2008), et comme l’a rappelé à plusieurs reprises Xavière Gauthier elle-même (1980, 2005). Les œuvres des années 1980 en brouillent encore davantage la lecture. Sans doute peut-on dire aussi avec Simona Crippa que par bien des aspects le féminisme de Duras « excède le féminisme » (Dictionnaire Marguerite Duras). Et cependant l’on ne peut dénier l’inscription de la figure de Duras dans une histoire du féminisme (comme en atteste par exemple sa présence dans le récent Dictionnaire des féministes publié en 2017), ou plus exactement des féminismes, qui court depuis le XVIIIe siècle jusqu’à la période post #MeToo où l’on voit revenir avec force les figures de « parleuses » et de sorcières (Piette, 2022).
Ce dossier propose donc d’examiner quelle présence peuvent avoir le discours, la figure et l’œuvre de l’écrivaine au sein de la pensée contemporaine du féminisme et des débats qui l’accompagnent, mais aussi de mesurer les dialogues qui se nouent avec les écritures littéraires au féminin/du féminin d’aujourd’hui.
Différents axes d’étude pourront être envisagés, sans exclusivité :
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Faut-il relire certaines œuvres de l’auteur par le prisme des questions féministes ?
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Alors que la figure de Duras a occupé une place majeure dans les études anglo-américaines du French Feminism de la fin du XXe siècle au début des années 2000, sous l’impulsion notamment des Gender Studies, quelle place trouve-t-elle aujourd’hui dans ce que l’on dénomme la « troisième vague du féminisme » ? Le lien peut-il encore être celui d’une filiation ou appelle-t-il à une posture résolument critique ?
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Quelles relectures possibles du féminisme de Duras à l’aune des féminismes actuels ?
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La question souvent approchée par Duras de la singularité d’une écriture au féminin (au cœur des débats des années 1970), ou d’une parole féminine, trouve-t-elle un écho auprès des écrivaines d’aujourd’hui ?
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Certaines œuvres de la littérature contemporaine continuent-elles de s’inscrire, implicitement ou explicitement, dans une exploration des territoires « du féminin » ?
Les articles, d’une longueur comprise entre 20 000 et 40 000 signes (notes et espaces comprises), sont à adresser à Anne Cousseau (anne.cousseau@univ-lorraine.fr) avant le 1er septembre 2025.
Ils seront soumis à une évaluation avant décision de publication.
Les normes de présentation du texte (feuille de style) sont à retrouver sur le site des Cahiers Marguerite Duras : https://www.peren-revues.fr/cahiersmargueriteduras/411
[1] Pour les plus connus, « La soupe aux poireaux » et « Les enfants maigres et jaunes », repris dans Outside (1981)
CALL FOR PAPERS
“I'm not a 'feminist'. I don't believe in feminism. I believe that the only valid feminism is not militant. It's leaving women to themselves, free”, declared Marguerite Duras in an interview with Susan D. Cohen in 1973. Nevertheless, Marguerite Duras did not shy away from the women's struggles and feminist thinking that animated the political and social debate of the 1970s. Judging from the interviews she conducted with Xavière Gauthier in 1973, which led to the publication of Les Parleuses in 1974, as well as those she gave to Suzanne Horer in 1973 and Susan Husserl Kapit in 1975, and the texts she submitted to Xavière Gauthier for her magazine Sorcières, whose title was inspired by her reading of Michelet. In 1971, she was also one of the signatories of the “Manifesto of the 343 Women”, calling for the decriminalization of abortion.
Beyond the historical and ideological context of the 1970s, which gave rise to her film Nathalie Granger, shot in 1972 and released in 1973, and which original title was “Nathalie Granger ou la maison des femmes” (“Nathalie Granger or the House of Women”), in many of her works, Marguerite Duras explored “the territories of the feminine”, according to the title of Marcelle Marini's essay, and wrote from this territory “with a feminine grammar” that disrupts gender relations (Calle-Gruber, Dictionnaire Marguerite Duras, 2020).
Marguerite Duras's feminism is not self-evident, as a number of critical studies have shown (Blot-Labarrère, 1992; Alhstedt, 2008), and as Xavière Gauthier herself has repeatedly reminded us (1980, 2005). Her 1980s works cloud even further that possible reading. With Simona Crippa, we can also say that in many respects Duras's feminism “exceeds feminism” (Dictionnaire Marguerite Duras). And yet we cannot deny that Duras' figure is part of a history of feminism (as shown, for example, through her presence in the recent “Dictionnaire des feminists” published in 2017), or more precisely a history of (various forms of) feminisms, that runs from the eighteenth century to the post #MeToo period, with the strong comeback of the figures of “parleuses” and witches (Piette, 2022).
This one-day review file will examine the presence of the discourse, the figure and the work of Duras in contemporary feminist thinking and in the debates that accompany it, as well as the dialogues between her work and contemporary literary writing on the feminine/of the feminine.
Different areas of study may be considered, and they are non-exclusive:
- Should some of Duras's works be reread through the prism of feminist issues?
- While Duras played a major role in Anglo-American studies of French feminism from the end of the 20th century to the early 2000s, particularly under the impetus of Gender Studies, what place does she occupy today in so-called “third wave feminism”? Can the link still be one of filiation, or does it call for a resolute critical posture?
- What forms of rereading of Duras's feminism are possible in the light of current feminisms?
- Does the question of the singularity of feminine writing (at the heart of 1970s debates), or of feminine speech, often raised by Duras, resonate with today's women writers?
- Do certain works of contemporary literature continue to explore, implicitly or explicitly, the territories of the “feminine”?
Articles of between 20,000 and 40,000 characters (including notes and spaces) should be sent to Anne Cousseau (anne.cousseau@univ-lorraine.fr) by May 30, 2025.
They will be evaluated before publication.
Text presentation standards (style sheet) can be found on the Cahiers Marguerite Duras website: https://www.peren-revues.fr/cahiersmargueriteduras/411
Éléments de bibliographie
Alazet Bernard, Blot-Labarrère Christiane (dir.), Dictionnaire Marguerite Duras, Honoré Champion, 2020.
Ahlstedt Eva, « Marguerite Duras féministe malgré elle ? Réflexions sur la réception féministe de l’œuvre durassienne des années 1970 jusqu’à nos jours », in E. Ahlstedt et C. Bouthors-Paillart (dir.), Marguerite Duras et la pensée contemporaine, Göteborg, Acta Universitatis Gothoburgensis, 2008, p. 157-169.
Bard Christine, Chaperon Sylvie (dir.), Dictionnaire des féministes – France XVIIIe-XXIe siècle, PUF, 2017.
Blot-Labarrère Christiane, Marguerite Duras, Seuil, coll. « Les contemporains », 1992.
Chollet Mona, Sorcières : la puissance invaincue des femmes, La Découverte, 2018.
Chouen-Ollier Chloé, L’Écriture de la prostitution dans l’œuvre de Marguerite Duras : écrire l’écart, Paris, Lettres Modernes Minard, « Critique », 2015.
Cohen Susan D., « Entretien avec Marguerite Duras » (juillet 1972), reproduit dans « M. D. », Initiales (École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Lyon), n° 3, janv. 2014, p. 48-51.
Didier Béatrice, Fouque Antoinette, Calle-Gruber Mireille, Le Dictionnaire universel des créatrices, Éditions des femmes, 2013.
Dorlin Elsa, Sexe, genre et sexualités : introduction à la philosophie féministe [2008], PUF, 2021.
Duras Marguerite, Nathalie Granger suivi de La Femme du Gange, Paris, Gallimard, 1973.
—, Les Parleuses, Minuit, 1974.
—, Les Lieux de Marguerite Duras, Minuit, 1977.
—, Outside, P.O.L., 1984 (1981)
—, La Vie matérielle, P.O.L., 1987.
Femmes et littérature : une histoire culturelle, t. II, sous la direction de Martine Reid, par Florence de Chalonge, Delphine Naudier, Christelle Reggiani (pour le XXe siècle), Paris, Gallimard, Folio-Essais inédit, 2020.
Froidevaux-Metterie Camille, La Révolution du féminin, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 2015.
Gauthier Xavière, « Il y a comme des cris, mais silencieux » (entretien avec Marguerite Duras), dossier « Luttes de femmes », Tel Quel, n° 58, été 1974, p. 97-99.
—, « Marguerite Duras et la lutte des femmes », Le Magazine littéraire, n° 158, mars 1980, p. 16-19.
—, « Lettre à Marguerite Duras », Lunes, n° 6, 1999 (texte reproduit dans B. Alazet et C. Blot-Labarrère (dir.), Marguerite Duras, Cahiers de l’Herne, n° 86, 2005, p. 81-82).
Horer Suzanne et Socquet Jeanne, La Création étouffée, Pierre Horay, 1973 (entretien avec Marguerite Duras, p. 172-187).
Husserl-Kapit Susan, « An Interview with Marguerite Duras » (entretien réalisé en octobre 1973), Signs. Journal of Women in Culture and Society, vol. I, n° 2, 1975, p. 423-434.
Marini Marcelle, Territoires du féminin avec Marguerite Duras, Minuit, coll. « Autrement dites », 1977.
« Les nouveaux féminismes », Pouvoirs, n° 173, 2020.
« Les récits des différences sexuelles » (textes réunis et présentés par B. Alazet et M. Calle-Gruber), série « Marguerite Duras », Revue des Lettres Modernes, Minard, 2005.
Naudier (Delphine), « L’écriture-femme : enjeu esthétique, enjeu entre générations, enjeu de femmes », in Michel Einfalt et Joseph Jurt (dir.), Le Texte et le contexte : analyses du champ littéraire français (XIXe et XXe siècles), Paris-Berlin, MSH-A. Spitz, 2002, p. 143-160.
Perrot Michelle, Duby Georges (dir.), Histoire des femmes en Occident (5 volumes), Plon, 1990-1991.
Piette Valérie (ed.), Witches – Histoires de sorcières [catalogue de l’exposition organisée à l’espace Vanderborght du 17 octobre 2020 au 16 janvier 2022], Éditions de l’Université de Bruxelles, 2022.
Rodgers Catherine (dir.), Descendances durassiennes – Écritures contemporaines, éditions Passage(s), 2021.
Royer Michelle, « Féminisme, écriture féminine et féminin dans la parole publique de Marguerite Duras », in E. Ahlstedt et C. Bouthors-Paillart (dir.), Marguerite Duras et la pensée contemporaine, op. cit., p. 149-155.
Vallier Jean, C’était Marguerite Duras (tome 2), Fayard, 2006.
Van Rossum Françoise, « Sur quelques aspects de l’écriture féminine en France aujourd’hui », in C. Grivel (dir.), Écriture de la religion, écriture du roman, Presses Universitaires de Lille, 1979, p. 211-231.
Williams James S. (dir.), Revisoning Duras : Film, Race, Sex, Liverpool University Press, 2000.
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Par ailleurs les Cahiers accueille pour chacun de ses numéros des articles dans les rubriques suivantes :
- « L’archive ouverte : génétique du texte » : responsable Annalisa Bertoni (École supérieure des Beaux- Arts, Nîmes) – annalisa.bertoni@orange.fr
- « L’œuvre à la loupe » : responsable Florence de Chalonge (Université de Lille) – florence.de-chalonge@univ-lille.fr
- « Hybridités textuelles » : responsable Olivier Ammour-Mayeur (ICU, Tokyo) – olammour@hotmail.com
« Intertextes et résonances » : responsable Christophe Meurée (Archives & Musée de la littérature, Bruxelles) – christophe.meuree@aml-cfwb.be
- « Traduire Duras/Duras traduite » : responsable Laurent Camerini (Paris Sorbonne – THALIM UMR 7172) – camerinil@hotmail.com
Les articles qui seront expertisés sont à soumettre directement aux responsables de rubriques indiqués.
Langues des articles acceptées : français/anglais.
Cahiers Marguerite Duras
Revue internationale bilingue (français-anglais), à comité de lecture
Parution annuelle en ligne
Direction
Florence de Chalonge (Université de Lille), présidente de la SIMD
Christophe Meurée (Archives & Musée de la Littérature, Bruxelles), vice-président de la SIMD
Comité de rédaction
Françoise Barbé-Petit (Sorbonne-Université) – Anne Cousseau (Université de Lorraine) – Sylvie Loignon (Université de Caen Normandie) – Neil Malloy (SIMD) – Andrea Manara (SIMD) – Michelle Royer (Université de Sydney) – Lauren Upadhyay (Chapin School, New York)

